En décembre dernier, après plus de 10 ans d’existence, la Galerie du temps, véritable cœur battant du musée du Louvre-Lens, s’est (presque) entièrement renouvelée. Dans cet espace ouvert de 3000 m2, 250 œuvres ont pris place, bénéficiant d’une nouvelle scénographie. Sans regroupement par technique ou par civilisation, on circule librement dans ce « fleuve du temps », qui porte le visiteur d’une sculpture en relief de chasseurs-cueilleurs, datant de – 18000 ans environ avant J.-C., aux œuvres de sept artistes contemporains. Dans ce flot d’incroyable beauté, trois de mes amis et moi avons choisi nos œuvres préférées. Un choix très subjectif et terriblement cornélien…
Tombé un temps dans l’oubli, Arcimboldo revient en pleine lumière au 20e siècle. Avant de rayonner encore un peu plus, dans la Galerie du temps du Louvre-Lens. Il est vrai que le temps lui va si bien…
Les choix de Marc, agent de voyage et passionné d’Histoire
1. Portrait d’un joueur de Lyre, dit « Le Joueur en marche », vers 100 – 200 après J.-C.
Réplique romaine en marbre d’un original grec en bronze, cette statue représente un homme d’âge mur. Vêtu d’un manteau drapé sans manches, il porte des sandales et se trouve en position de marche. Il s’agit sans doute d’un poète ou d’un musicien ambulant, si on en croit la lyre qu’il tient dans sa main gauche, faite avec une carapace de tortue.
Pour Marc, « Il s’agit d’un chef d’œuvre, dont l’état de conservation laisse pantois. L’équilibre de la statue, le travail sur le marbre pour donner l’illusion du tissu ainsi que la précision des pieds et des sandales en font une statue superbe. L’une des plus belles que j’ai eu l’occasion de voir de cette époque ».
2. Écritoire ottoman, vers 1675 – 1700, Turquie
Avec sa marqueterie en écaille de tortue, ivoire, nacre, os et ébène, ce coffret en bois de noyer est d’une grande beauté. Une marqueterie bicolore, très appréciée dans l’Empire ottoman dès la seconde moitié du 16e. Cet écritoire, sans doute destiné à un personnage de haut rang, contient les différents outils de l’écriture, discipline à la fois artistique et spirituelle.
« J’aime beaucoup les travaux de marqueterie, soit en écaille de tortue, soit en pierres précieuses ou semi-précieuses, comme au Taj Mahal, ou encore en diverses essences de bois. C’est délicat, précis et toujours élégant », souligne Marc.
3. Peinture murale : décor architectural en trompe-l’œil, vers 45 – 79 après J.-C., Herculanum (Italie)
Ce fragment de peinture murale provient d’une demeure d’Herculanum, ville voisine de Pompéi, enfouie comme elle sous les cendres du Vésuve, lors de l’éruption de l’an 79. Dans l’empire romain, les murs des pièces de réception étaient en effet ornées d’un décor peint, souvent réalisé avec des matériaux rares. Ici, c’est un pigment de teinte rouge qui a été utilisé, noirci aujourd’hui par le passage du temps.
« L’ancestrale technique de la fresque est ici particulièrement délicate. C’est une merveille de couleurs et de subtilité », insiste Marc, amoureux de l’Italie.
Les choix de Thierry, médecin et grand esthète devant l’Éternel
1. Statuette anthropomorphe, site de Tago, Tchad, vers 700 – 1000
Avec ses bras courts, ses paumes tournées vers le ciel, son collier et son baudrier croisé sur la poitrine, indice d’un statut social élevé, cette statuette en terre cuite est représentative de la civilisation Sao, au sud du lac Tchad.
Thierry a choisi cette œuvre, même s’il reconnaît ne pas être particulièrement fan d’art primitif africain. Mais il a apprécié l’originalité de ce choix, dont il estime « qu’il dénote un peu dans cette nouvelle Galerie du temps du Louvre-Lens ». Et de poursuivre, un petit sourire en coin, « C’est sans doute un choix subliminal, mon côté chiraquien peut-être… ».
2. La Nativité, entourage de Donatello, vers 1386 – 1466, Florence (Italie)
Dans cette Nativité, la Vierge Marie est le personnage central du bas-relief, seules les têtes de Joseph, de l’âne et du bœuf étant visibles. L’enfant Jésus est pour sa part couché dans une cuvette creusée dans le roc de la grotte de Bethléem.
Thierry l’a retenue parmi ses trois œuvres préférées « pour son côté polychromique et aussi parce qu’elle est (presque) encore de saison ».
3. Poignard à tête de cheval, vers 1600 – 1700, Inde
Ce poignard est un khanjar, une arme typique de l’Empire moghol, dynastie musulmane régnant du 16e au 18e siècle. À son apogée, l’Empire couvre presque l’ensemble du sous-continent indien.
La taille des gemmes étant poussée à un haut degré de raffinement par les artisans indiens, on peut admirer le pommeau en forme de cheval, réalisé en jade, les incrustations en or formant un feuillage et les yeux de l’animal sertis de rubis.
C’est précisément « la finesse du travail, l’élégance de l’arme et l’utilisation de pierres précieuses » qui ont plu à Thierry. « Sans compter qu’une tête de cheval ne peut pas laisser indifférent le turfiste que je suis… ».
Les choix de Francis, retraité, consultant et diplômé d’Histoire
1. Maquette : modèle de grenier, vers 1990-1960 avant J.-C., Assiout (Égypte)
« J’ai aimé ces petits personnages, qui me font penser à des Playmobil plusieurs fois millénaires. Ils s’activent pour apporter et stocker la nourriture, dont le défunt aura besoin pour son long voyage ». En effet, cette maquette en bois polychrome, qui représente un bâtiment où sont entreposées des céréales, est un modèle funéraire que l’on place dans une tombe. On observe deux porteurs de sac, un serviteur qui mesure la récolte et un scribe qui, sur son papyrus, comptabilise les céréales. À savoir du blé et de l’orge, base de l’alimentation dans l’Égypte ancienne.
2. Masque de femme de la comédie antique, vers 100 avant J.-C./ 1 après J.-C., Myrina (actuelle côte turque)
Francis l’a choisi pour son côté « à la fois fragile, expressif et inquiétant ».
Les yeux et la bouche évidés de ce masque évoquent ceux du théâtre grec, où les rôles étaient tous tenus par des hommes. Pour identifier les personnages, notamment féminins, des masques étaient donc indispensables, comme ce masque de théâtre réalisé en argile.
3. Charles Quint reçu par François Ier à l’abbaye de Saint-Denis en 1540, par Antoine-Jean Gros (1812)
Cette huile sur toile immortalise l’accueil réservé en 1540 par François Ier à Charles Quint, à Saint-Denis, là où se trouvent les tombeaux des rois de France. Vaincu quinze ans plus tôt par l’empereur germanique à Pavie, le roi de France, lassé de faire la guerre, scelle cette fois une alliance avec lui et l’autorise à traverser son pays. Cette œuvre d’Histoire a été commandée par l’empereur Napoléon Ier à Antoine-Jean Gros, spécialiste des batailles napoléoniennes.
Francis s’est arrêté devant le regard de défi lancé par Charles Quint, en costume noir, à son hôte François Ier. Un regard qui rappelle qu’il était « à son époque, une super puissance à lui seul ».
Les choix de Plus au nord
1. Masque-plastron, entre 200 et 300 après J.-C., Égypte
De 30 avant J.-C. à 395 de notre ère, l’Égypte est sous domination romaine. Les deux cultures se mélangent donc, notamment dans le domaine funéraire, entre rituels religieux égyptiens et portrait du défunt, qui est davantage une pratique romaine.
Posé sur le buste du défunt, ce masque-plastron contribue à lui assurer la vie dans l’au-delà. Pourtant amatrice de culture égyptienne, je n’avais jamais vu un tel objet. D’où mon intérêt pour ce « portrait », présentant collier de barbe, cheveux ras, bague en or et couronne. Mais plus que tout, j’ai aimé, peintes sur le dosseret soutenant le masque, les divinités égyptiennes protectrices des morts. Isis, Osiris, Nephtys… représentées comme sur une BD, dans de délicats coloris.
2. Triptyque de dévotion privée, 1325-1350, Bernardo Daddi, Florence (Italie)
On pourrait y voir un « simple » triptyque. Une peinture en trois parties, représentant la Nativité à gauche, la Vierge Marie et l’Enfant Jésus au centre et la Crucifixion à droite. Mais c’est bien plus que cela, une véritable œuvre d’art réalisée par Bernardo Daddi, l’un des artistes florentins les plus célèbres du 14e siècle. C’est aussi un bijou luxueux, réalisé sur du bois de peuplier, entre Moyen Âge gothique et Renaissance. J’adore le côté précieux de l’or, les couleurs flamboyantes et l’ensemble des personnages, petits ou grands, si finement exécutés. Un Trecento tout en délicatesse, qui annonce l’apogée artistique italienne à venir…
3. Plaque de revêtement architectural, 1350-1375, Samarcande (Ouzbékistan)
Certaines œuvres nous attirent-elles juste parce qu’elles nous remettent en mémoire de merveilleux souvenirs de voyage ? Assurément, oui. C’est ainsi que j’ai été captivée par cette plaque de céramique et son décor de fins entrelacs végétaux, creusés en profondeur. Elle provient d’une façade de mausolée du site du Chah-e-Zindeh, situé dans la ville de Samarcande, en Ouzbékistan.
Samarcande la somptueuse, devenue au 14e siècle la capitale de Tamerlan, guerrier et conquérant d’un vaste territoire centrasiatique. Samarcande, l’un de mes plus beaux souvenirs de voyageuse, dont je rêve encore…
4. Plat circulaire représentant le renard prêchant les oies, vers 1490-1500, Deruta ou Pesaro, Italie
Encore une œuvre italienne qui m’a littéralement happée ! Est-ce les couleurs vives de cette majolique et de son décor peint ? Ou est-ce la présence d’animaux, qui m’ont tout de suite fait penser à notre bon Jean de La Fontaine ? Est-ce ce renard curieusement déguisé en moine ? Je l’ignore mais j’aime beaucoup cette faïence qui m’a fait sourire. Il faut dire que ce renard, prêchant face à des oies tenant dans leur bec un collier de perles, semble tout droit sorti d’une fable. Visiblement, ici déjà, tout prêcheur vit aux dépens de celles qui l’écoutent. Et ne vont pas tarder à offrir aveuglément leurs jolis colliers…
5. Triple étude d’une autruche, vers 1669-1671, Pieter Boel
Encore des bébêtes et encore un coup de cœur ! Au premier instant, j’ai pensé que cette étude animalière faisait partie des œuvres contemporaines de la nouvelle Galerie du temps du Louvre-Lens. Mais un coup d’œil au cartel m’a appris qu’il s’agit en fait d’une huile sur toile réalisée par Pieter Boel, peintre flamand de natures mortes et de sujets animaliers. Appelé à travailler à la manufacture royale de tapisserie des Gobelins de Paris, il réalise des études d’animaux pour servir de modèles à la tenture des Mois. Ainsi, la Ménagerie royale de Versailles devient son terrain de jeu favori. Et il réalise cette étude d’autruche vue sous trois angles et attitudes différentes… Réalistes et un brin comique.
Et la cerise sur le gâteau du Louvre-Lens
Les Quatre Saisons de Giuseppe Arcimboldo, vers 1527 – 1593, Milan (Italie)
C’est à coup sûr l’œuvre la plus connue de la nouvelle Galerie du temps du Louvre-Lens ! Faut-il y voir de simples portraits de profil, comme on le suppose en les regardant de loin ? Ou faut-il s’attarder sur les végétaux qui les composent, établissant des correspondances entre corps humain et nature ? Faut-il y voir une allégorie des quatre âges de la vie ? S’agit-il d’une imitation des portraits d’empereurs représentés de profil sur les pièces de monnaie ? Une sorte de farce, qui se dissipe à mesure qu’on s’approche des tableaux ? Ou ces visages sont-ils un grand herbier des végétaux connus à l’époque ?
Chacun répondra à sa manière. Ce qui est certain en revanche, c’est qu’Arcimboldo a produit plusieurs versions de ces Saisons pour Maximilien II, l’empereur du Saint-Empire romain germanique, qui a visiblement apprécié l’exercice.
Tombé un temps dans l’oubli puis redécouvert, Arcimboldo revient en pleine lumière au 20e siècle. Avant de rayonner encore un peu plus, ici dans la Galerie du temps du Louvre-Lens. Il est vrai que le temps lui va si bien…
La Galerie du temps du Louvre-Lens en pratique
99 rue Paul-Bert à Lens
03 21 18 62 62
Ouvert tous les jours, sauf le mardi, de 10 h à 18 h.
Entrée de la Galerie du temps gratuite.
Pour les automobilistes, parking gratuit, rue Paul-Bert, à 200 mètres du musée.
Pour les visiteurs venant en train, la gare de Lens est à une vingtaine de minutes à pied du musée.
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